
Le Canal de Nantes à Brest
Cet été, c’est en Bretagne que nous pédalons. D’abord parce que c’est beau, facilement accessible et qu’on y mange bien. Ensuite parce que, même si l’herbe y est jaune et sèche en ce mois de juillet, on espère trouver des températures propices aux activités de plein air.
Pour l’itinéraire, on a été parfaitement pragmatique en partant de la gare de Redon où on laisse le van et en suivant scrupuleusement le canal qui nous garantit un chemin plat et sécurisé, idéal pour que les filles puissent pédaler seules.
Depuis Redon, on prend tranquillement la route le long de l’Oust qui se confond avec le canal. Pour répondre parfaitement aux préjugés, on démarre sous la pluie mais elle s’arrête rapidement et le chemin est agréable. Le revêtement certes parfois un peu chaotique mais on avance tout de même malgré le vent de face.
Une trentaine de kilomètres plus loin, on entre à Malestroit par un quai rose d’hortensias et on y mange les premières crêpes d’une longue série… La ville est minuscule mais les ruelles du centre et leurs maisons à colombages sont magnifiques. Le canal aux abords de la ville est bordé de péniches et plein de promeneurs. Léna et son enthousiasme à pédaler sur son si petit vélo font réagir beaucoup de passants et ça la motive encore plus à ne surtout pas accepter qu’on utilise le follow me pour l’aider un peu. Alma est très fière de ses sacoches, son bidon et son compteur. Et nous, on est bien contents qu’elle porte ses affaires, qu’elles pédalent sans ronchonner et qu’elles soient un peu fatiguées le soir !
Quelques kilomètres plus loin, on pose la tente sur une petite langue de terre fraichement tondue au milieu d’un bras de l’Oust. La nuit tombée, les grenouilles entament un assourdissant concert de coassements ponctué de bruyants et lourds plongeons qui durent jusqu’au matin. Les crottes de ragondins autour de la tente nous indiquent qu’on s’est installé sur leur territoire. On est d’ailleurs aussi sur celui des pêcheurs qui nous regardent, incrédules, sortir de la tente en pyjama et prendre notre petit déjeuner au soleil.
En regardant l’itinéraire du jour, on se rend compte qu’on est tout proches du jardin du poète ferrailleur où sont exposées ses fascinantes constructions. Il faut s’éloigner un peu du canal et affronter quelques montées mais la visite vaut bien quelques vaillants coups de mollet.

















Après un long moment dans ce jardin magique, on descend vers Josselin dont on s’éloigne un peu pour trouver une écluse où passer la nuit. Un bar associatif tenu par un pirate autoproclamé est installé à celle du Rouvray. On peut y boire un coup, s’y doucher, nourrir les ânes et même y bivouaquer mais on préfère s’installer sur l’aire de jeux toute proche, même si cela implique une laborieuse traversée du canal par une passerelle bien peu adaptée aux cyclistes comme souvent… En scrutant le sol pour y poser la tente au meilleur endroit, j’y trouve plusieurs babioles dont Alma se persuade qu’elles appartiennent au trésor du fameux pirate, qui nourrit bien des histoires et des suppositions dans les jours qui suivent…
Depuis le départ, les écluses sont rares et la pente pour les monter à peine perceptible. Parfois, il faut forcer un peu pour monter sur un pont mais Alma gère bien ses quelques vitesses et Léna se met en « chanteuse » comme elle dit (nous on dit plutôt en « danseuse ») ! Mais aujourd’hui, il y a la fameuse échelle de vingt écluses à gravir pour atteindre la rigole d’Hilvern et pour l’occasion, on dégaine tire-vélo et follow me. Depuis qu’on est partis, on pédale une trentaine de kilomètres par jour et il faut redoubler d’ingéniosité argumentative pour convaincre Léna d’accepter un peu d’aide même si on sent que la fatigue s’accumule au fil des jours. Si les fesses tiennent bon, elle se plaint souvent d’avoir mal aux mains et c’est vrai qu’elle les a rouges de tenir si fort son guidon sur les chemins rarement lisses.
A l’écluse d’Hilvern, un coin de bivouac a été aménagé par la mairie avec WC et douche chaude, quel bonheur ! Juste à côté, un bar propose de nombreux jeux bretons en libre accès, l’endroit parfait pour prendre l’apéro au bord du canal. Un peu plus tard, une dame vient discuter en promenant ses chèvres naines en laisse. Ca vaut bien de retarder un peu les couchers…
De là, les écluses descendent jusqu’à Pontivy. Motivés par la promesse d’un repas dans une crêperie de la ville, on parcourt sans pause les 18 km qui nous en séparent et on trouve des galettes à la hauteur de nos attentes ! On profite aussi de la ville pour faire un tour dans les jolies ruelles et acheter des gants de vélo aux filles – qui ne s’avèrent pas d’une grande efficacité mais dont l’effet placebo fonctionne bien !
En repartant de la ville, on sent que Léna commence sérieusement à fatiguer. L’excitation des vacances, la vie en plein air, les couchers plus tardifs, l’absence de temps calmes alors qu’elle fait encore parfois la sieste, se font sentir et c’est justement dans ces moments qu’elle accepte encore moins le follow me ! Comme on a un peu de ville à traverser et qu’on voudrait éviter qu’elle finisse sous des roues ou dans le canal, on arrive à la convaincre de faire quelques kilomètres sur le petit siège que j’ai laissé sur mon porte-bagage par sécurité, le temps d’écouter une histoire. La musique et les histoires, c’est le carburant infaillible des coups de mou. Chacune à leur tour, elles accrochent la petite enceinte sur leur guidon et elles peuvent pédaler des kilomètres, côte à côte, sans les voir passer.

















C’est la première fois que les filles pédalent seules et on a forcément adapté le rythme de nos journées. Alors qu’on fréquentait assidûment les aires de jeux pour les défouler pendant les pauses, on cherche désormais les tables de pique-nique et les crêperies pour recharger les batteries. On fait beaucoup de petites pauses et on arrête de pédaler bien plus tôt qu’avant, souvent vers l’heure du gouter alors que jusqu’à l’année dernière, c’était plutôt l’heure à laquelle on repartait de la longue pause du midi ! Ce n’est pas pour autant qu’elles se couchent tôt mais on passe des soirées plus tranquilles et c’est agréable. On a même le temps de jouer aux cartes, de dessiner et de raconter des histoires. Et surtout de jouer avec les deux poupées qui sont du voyage et avec les vélos dont elles ne se lassent apparemment pas !
A partir de Pontivy, le chemin est aussi peu roulant que fréquenté. On n’avance pas très vite mais il fait bon rouler ici et on arrive à l’écluse de Poulhibet où la carte indique un point d’eau. En réalité, on y trouve bien plus : une zone de bivouac avec toilette, table abritée et électricité, tout ce dont on rêvait pour cette soirée pluvieuse. Et même une tisserande qui nous explique son métier avec du café et des gâteaux bretons. Merci la Bretagne !
Quelques kilomètres plus loin, on atteint le barrage de Guerlédan et le fameux mur de Mûr-de-Bretagne. Ça monte fort mais pas longtemps et une belle biscuiterie nous attend en haut. Ça tombe bien parce qu’on doit faire des courses pour 4 jours : les méandres du canal ne traversent désormais que de rares hameaux et le weekend arrive.
Le fameux crachin breton ne nous épargne pas ce jour-là – ni les suivants – et on reprend la route, les sacoches bien pleines, jusqu’à Gouarec où on trouve un camping avec cuisine et table à l’abri. Il pleut et vente sauvagement toute la nuit et on est bien contents d’être dans un camping, d’autant plus qu’ils servent des petits dej’ à volonté, auxquels Alma fait honneur !
Le lendemain, les averses alternent avec des éclaircies. Impossible de passer entre les gouttes mais les filles sont très fières de pouvoir mettre leurs pantalons de kway et ravies qu’on trouve une crêperie dans une maison éclusière pour s’abriter. A l’heure du gouter, on atteint la Grande Tranchée, creusée par des bagnards sous Napoléon et désormais tapissée de mûres. On en sort au moment où la pluie recommence de plus belle et on décide de profiter de l’abri d’un club nautique pour poser notre tente à cet endroit. Nous ne sommes qu’à une quinzaine de kilomètres de Carhaix et on s’endort au son lointain des Vieilles Charrues.










A partir de là, on a vraiment l’impression d’être les seuls cyclistes à la ronde. L’état du chemin le rend parfois un peu chaotique mais les écluses ne font désormais que descendre jusqu’à la mer et même si les paysages sont relativement monotones -surtout à la vitesse à laquelle on avance… – on se sent bien le long de ce canal qui serpente entre les arbres. Il n’est plus navigable et les maisons éclusières sont souvent privées, ce qui nous empêche de poser notre tente à proximité comme on l’avait fait tous les soirs jusqu’au lac de Guerlédan.
De toute façon, les soirées et les nuits sont pluvieuses ces jours-ci et on essaie d’éviter les repas sous la tente en trouvant un abri ou un camping. Ce soir-là, on dort au camping du domaine du moulin vert. On y trouve un immense terrain à peu près vide, des sanitaires d’un autre temps, une colonie d’enfants en camp nature qui fascine Alma, un moulin à moitié délabré avec table de repas et de billard à disposition, un imposant château propice aux mariages et le comte de ces lieux, un peu délabré aussi mais fort sympathique, qui nettoie les sanitaires avec sa comtesse d’épouse ! Un drôle d’endroit mais parfait pour une nuit.
On continue notre chemin en passant comme on peut entre les gouttes et les trous du chemin. Même s’il pleut un peu tous les jours, il ne fait pas froid et on sèche vite, d’autant qu’il pleut surtout les soirs et les nuits. Il n’y a que la tente qui peine un peu à sécher mais on s’en sort plutôt bien. Nous n’avons pas encore fait de jour de pause mais on est vraiment au milieu de rien et ça ne s’y prête guère. Alma semble plus endurante qu’au début et pédale sa trentaine de kilomètres quotidiens en chantonnant. Léna a parfois des coups de mou, se plaint souvent d’avoir mal aux mains et en vient même à accepter ponctuellement qu’on l’accroche au le follow me sur quelques kilomètres. Heureusement, elle a sa poupée sur le guidon à qui elle raconte sa vie et celle d’Alma dans le siège arrière dont elle prend grand soin !
La comtesse nous avait prévenus : Châteauneuf-du-Faou est non seulement perché au-dessus du canal mais en plus, sans aucun intérêt ! Manque de bol, nous arrivons au bout de notre autonomie de victuailles et je décide donc de grimper jusqu’au Coccimarket local pendant que Miha attend la livraison du gouter à l’écluse suivante avec les filles. La météo est toujours incertaine, on n’a aucun coin de bivouac validé sur la carte mais un bed&breakfast affiché à l’endroit où on aimerait dormir. Et justement, il reste une chambre familiale pour le jour même, une aubaine ! Le lieu est tenu par un couple de néerlandais, sans titre de noblesse mais adorables, c’est simple et beau. Le lit est confortable, même pour les filles qui dorment tête bêche dans une lit simple, le petit déjeuner est bon et copieux. Et cerise sur le gâteau, on repart avec la tente sèche pour notre dernière nuit de bivouac !
Comme les jours précédents, on croise bien peu de cyclistes, quelques averses et beaucoup de mûres. On arrive en milieu d’après-midi là où on a prévu de s’arrêter, une dizaine de kilomètres avant Châteaulin où s’arrête en réalité l’itinéraire du canal de Nantes à Brest que nous avons si vite dévoré. Sur une petite île sur l’Aulne, un robinet, une table et un coin pour poser la tente. Les filles passent plusieurs heures à dessiner sur la piste cyclable avec l’eau des bidons et nous on profite de cette dernière douce soirée de l’été tous les quatre sous la tente.
A l’arrivée, 320 km au compteur pédalés chacun sur son vélo et le bonheur de partager toujours autant de plaisir ensemble sur les chemins et sous la tente. Et déjà beaucoup d’amour pour la Bretagne et ses paysages (et sa gastronomie…) avant même notre exploration à venir des côtes du Finistère…













